Paul Klee 1879-1940 Peintre, musicien, écrivain.
« Ouvre toi porte dans l’abîme.
Cachot abyssal, rend moi la liberté.
Et des mains clairs me viennent saisir et ces paroles d’amis joyeuses : montrez vous images de belle bêtes sauvages,
Échappez à votre cage,
Que tendrement glisse les doigts
Sur la flamboyante fourrure.
Et l’on est comme jadis au jardin de Dieu :
Le Jour et la Nuit,
Et le soleil et la splendeur des astres. »1909 Paul Klee, Journal.
Si il renonce à une carrière d’instrumentiste et de poète c’est pour choisir la peinture, où il parviendra à conjuguer ces différents éléments. La peinture dans sa pratique mais aussi dans les réflexions théoriques qui en découle lui permet de faire une vaste synthèse des différents champs de la pensée et des arts qui le passionnent. C’est aussi un pédagogue et un théoricien, en tant que professeur il doit théoriser son approche artistique afin de la transmettre à ses élèves. Cette réflexion aboutit à des textes théoriques.
Il se définira lui même comme « peintre poète ». Créateur fécond, son œuvre rassemble plus de 10000 références, conjuguant les techniques les plus variées. Ses textes critiques et esthétiques font partie des piliers de la pensée esthétique du XXème siècle.
Il se confronte à de nombreuses questions : la géométrie, mais aussi l’analyse des transformations du règne de la nature. Une grande variété de thèmes est abordée dans son œuvre.
Alors que son œuvre montre une attention constante à la couleur, le dessin (le graphisme) est toujours présent, l’œuvre étant une recherche de point d’équilibre entre la couleur et la ligne. Oscillant entre le figuratif et l’abstrait, son œuvre est une invitation donnée au spectateur à se laisser porter dans un univers poétique.
Les voyages : se définir en se confrontant aux anciens et aux moderne :
En pleine crise existentielle et en recherche, il décide renforcer sa culture artistique par des voyages, on voit qu’il s’inscrit dans une tradition du voyage formateur, voir initiatique, que pratique les jeunes gens aisés à la fin du XIXème, et au début du XXème siècle, en particulier ceux qui ont une sensibilité artistique, poétique, littéraire ou plastique.
1901-1902 : Ce voyage en Italie, pour lui est le départ de son œuvre. Voyage de 6 mois qui a pour but sa formation artistique. Il y admire les œuvres de Léonard de Vinci et Raphaël. Et il adhère au club des artistes allemands à Rome.
Ces visites le conduisent à Florence, et Pompéi, il s’intéresse aussi bien à l’art moderne qu’aux arts du passé. Et y découvre la musique japonaise. Étudier et comprendre les œuvres du passer lui permet de prendre position et de se définir plus facilement, de comprendre ce qu’est pour lui dorénavant un artiste.
C’est une prise de conscience de l’impossibilité pour un artiste du XXème siècle de continuer dans le sillage de l’idéal classique.
1905-1913 : nombreuses recherches et expériences techniques, dont la peinture sous verre. Période longue mais très importante pour la mise en place des éléments formels qui constitueront sa peinture. Il est tiraillé entre une pure recherche formelle de couleurs et de lignes, et d’une recherche de contenu. On voit son travail devenir moins graphique et plus pictural. Dessin vers la peinture. Si Klee a une formation en dessin il n’en a aucune en ce qui concerne la couleur.
On peu dire que son œuvre est d’abord graphique, et qu’il cherchera par la suite à lui adjoindre la couleur.
En effet tout au long de sa vie il multiplie les recherches graphiques, pour arrivées à la fin a une ligne plus épaisse , simplifiée, et qui apparaît comme un signe, un idéogramme.
Klee fait une recherche qui est à la fois plastique, esthétique, et théorique ; de nombreux travaux se font sur des petits formats, page de cahier ou écriture. Le caractère de ses recherches démontre un esprit scientifique.
Rencontre avec l’avant garde :
1910. Exposition à Berne, certaine reconnaissance. Amitié avec Alfred Kubin, qui le soutient dans ses recherches, et retrouve un ami d’enfance Louis Moilliet qui le présente à Macke, et Kandinsky, puis Franz Marc.
Il adhère au « Blaue Reiter ». Cette rencontre le sort de son isolement, et fut un moment décisif qui orientera la suite de son travail. Il acquiert de la confiance et la confrontation avec la peinture d’avant garde. Ainsi que la possibilité de participer a des expositions. Il renonce a son isolement volontaire pour s’intégrer aux groupes d’artistes d’avant garde,
Il est ainsi introduit à de nouvelles démarches ; rencontrant la peinture de Picasso, Braque, Kirchner, Delaunay, Matisse…(rencontre Delaunay et le douanier Rousseau lors d’un voyage à paris.
Il revendique l’aspect primitif de ses dessins.
1914. Voyage en Tunisie :
Depuis longtemps Klee est attiré par les arts de l’islam, et de l’Asie mineur. Son gout du végétal, et de l’écriture montre cette connivence qu’il affirme avec le proche orient. Son voyage en Tunisie sera le moment où il peut nitrer en contact avec un art, un peuple, un paysage et une lumière.
Suite aux récits de Louis Moilliet, qui a visité le pays, Klee et Macke décident de partir au printemps 1914. Ils passent par Marseille, st germain, Kairouan, Tunis.
A son arrivée a Kairouan, il note dans son journal : « D’abord un intense délire qui nuitamment culmine dans le mariage arabe. Pas d’impressions isolées, mais un tout. Un extrait des mille et une nuits avec quatre vingt dix neuf pour cent de réalité. Arôme combien pénétrant, enivrant, élucidant à la fois. Repas, mets des plus réels et délicieux breuvages. Édification et ivresse. Du bois parfumé se consume. Pays qui me ressemble ? »… » L’ambiance me pénètre avec tant de douceur que sans plus y mettre de zèle, il se fait en moi de plus en plus d’assurance. La couleur me possède, je le sais. Point n’est besoin de chercher à la saisir. Elle me possède je le sais. Voilà le sens du moment heureux : la couleur et moi sommes un, je suis peintre. »
Ce voyage est déterminant, il lui permet une grande libération dans son l’utilisation de la couleur. Utilisation de l’aquarelle, fluidité et transparence des couleurs, permet de capter l’intensité lumineuse. Leurs sujets de prédilection seront les architectures, ce qui conduit à des compositions très construites, voir abstraites. La structure quadrillée devient prédominante. Grace a ce voyage Klee parvient a combiner ligne et couleur. Et ainsi intégrer a sa manière le cubisme et l’orphisme.
« La couleur me possède. Point n’est besoin de chercher à la saisir…La couleur et moi sommes un. Je suis Peintre ! ».
Les années de guerre :
La première guerre mondiale marque la fin du « cavalier bleu », Marc et Macke meurent au front, Kandinsky repart en Russie et Klee et Jawlensky en suisse.
Au début de la guerre Klee qui a 35 ans reste a Munich, cette période est longue période d’introspection, parallèlement à la poursuite de ses recherches picturales.
La genèse de l’œuvre :
A partir du moment où il décide d’être peintre Klee, engage une réflexion sur l’œuvre d’art dans sa matérialité même. Ses formats garde souvent celui de la feuille de papier a lettre, il explore de nombreuses techniques et matériaux, et met en place tout un registre de formes et de signes graphiques. L’écriture est toujours mise en regard avec l’œuvre plastique, le poète étant toujours près du peintre.
Il manipule, froisse, découpe, superpose, garde une disponibilité du regard pour réinvestir les accidents, taches, coulures …
L’enseignement au Bauhaus :
1920 : Gropius l’invita à venir travailler au Bauhaus (Weimar), on ne sait toujours pas aujourd’hui comment Gropius est amener à inviter Klee à rejoindre son école, mais il certains que Johannes Itten, y contribua.
»Lettre de Itten a Klee du 10-11-1920 : « Au conseil des maitres au Bauhaus, nous avons décidés a l’unanimité de vous prier de nous rejoindre en acceptant la charge de Maitre. Nous serions très heureux si vous répondiez positivement à cet appel. Certaines mesures les y forçant, Klemm et Engelmann ont décidés de quitter le bauhaus ; ce qui fait qu’il ne reste plus que Feininger, Marks, Muche et moi pour siéger aux cotés de Gropius. Si nous faisons venir à la place de ces deux maitres cités, deux artistes ayant la même sensibilité moderne, je crois que Weimar sera alors le centre de la plus intense activité artistique, axé sur le progrès et imprenable par la réaction. »
Klee était alors un artiste qui commençait être enfin reconnu, Itten voyait en lui un artiste progressiste qui pouvait accompagner l’école dans son désir de d’associé beaux art et arts appliqués, et une croyance dans la fonction sociale et politique de l’art. Klee assez peu bavard sur ses opinions, va cependant faire des choix de vie, comme accepter ce poste de maitre au Bauhaus qui indique un positionnement de type politique.
Dans un premier temps Klee sera « maitre de forme », reprend l’atelier de reliure, en collaboration avec le « maitre artisan » Otto Dorfner. Ce dernier, artisan d’art de haut niveau, laissait peu de place à Klee. Puis il eu en charge l’atelier de peinture sur verre. Puis a Dessau, dans l’atelier tissage de Gunta Stölzl. Son influence au sein des ateliers d’art appliquer semble avoir été minime, alors que parallèlement ses cours théoriques, menés pendant dix ans, dans le cadre du cours préparatoire, vont lui permettre d’enseigner à l’ensemble des élèves qui passent au Bauhaus.
N’ayant pas de formation en tant que pédagogue, contrairement à Albers, ou Itten, pour surmonter sa timidité face aux élèves ils prépare très soigneusement ses cours. Ses cours sont articulés, en une partie théorique et une partie plus pratique constituée d’exercices. Ces exercices, sur la forme, la composition, ou encore la couleur, place les élèves dans une recherche, où le but est plus le moyen que la fin.
Klee dans ses textes, place l’art comme « allégorie de la création » : »l’art ne reproduit pas le visible, il rend visible ». Il donne une fonction spirituelle à l’art qui permet de s’élever de la « grisaille quotidienne » pour atteindre une autre réalité, une réalité supérieure. Cette conception « spiritualiste » de l’art, Klee la partageait avec Johannes Itten, Wassily Kandinsky, ou encore Oscar Schlemmer (tous trois maitres à l’école du bauhaus)
Ce nouveau rôle pédagogie sera un moment de cristallisation de sa pensée. C’est au début de l’année 1921 qu’il commence sont enseignement. « Ici dans l’atelier, je suis en train de peindre une demi douzaine de peinture, tout en dessinant et pensant à mon cours, tout cela va l’un avec l’autre. Car il faut que cela aille ensemble sinon ça ne marcherait pas du tout ».
Ses cours sont très travaillés et très construits. Son premier cycle de cours a pour titre : « contribution à l’enseignement pictural de la forme ».
Ces années d’activité pédagogique, sont un moment d’intense activité intellectuelle : il rédige des cours, prend de nombreuses notes, et projette une œuvre théorique. Peintre devenu professeur, il doit mettre en mots et expliquer les présupposés sur les quels il base sa peinture. L’écrit devient une part importante de l’activité créatrice du peintre.
Art et nature :
Pour Klee, le dialogue avec la nature n’est pas celui des anciens qui copiaient la nature. Mais un dialogue plus profond, une conscience d’être un élément de la même Création, et d’être en communion avec celle ci.
« Je fais toujours des études au-dehors : je ne dessine pas a proprement parler, mais l’œil le fait pourtant, et il y a des régions qui ont une présence inouïe. Il n’existe pas de domaine dans lequel on puisse s’en tirer sans étudier la nature. »
Il s’inspire aussi bien, du monde végétal, animal que minéral, où encore a des manifestations naturelles, gravitation, circulation de l’eau…
La nature devient source d’inspiration, et permet de guider l’artiste. Les figures abstraites qui naissent de la main de l’artiste, sont alors intimement liées à sa compréhension des lois de la nature. Ce qui permet selon Klee d’atteindre par le biais de l’art a quelque chose qui est plus que la nature. Ce qui le conduit a une simplification de ses formes, lignes et couleurs. Mais aussi à essayer de traduire le mouvement.
Discours de Iéna, 1924 : « Le champ relativement étroit qu’embrasse le regard, à travers le microscope, ne dévoile-t-il pas à nos yeux des images que nous qualifieront de fantastiques si nous les découvrions n’importe où, par hasard, en ignorant leur origine ? Monsieur X, s’il les rencontrait dans une revue d’avant-garde, s’écrierait avec indignation : »cela des formes naturelles ? Tout au plus du mauvais art appliqué ! L’artiste s’occupe donc de microscopie, d’histoire, de paléontologie ? Uniquement a titre de comparaison, par mobilité d’esprit : jamais pour contrôler scientifiquement sa fidélité à la nature ! Uniquement dans le sens de la liberté, d’une liberté qui réclame son droit d’être aussi mobile que la grande nature elle même. »
Pour Klee la contemplation de la nature, est la révélation du mystère de la création. Tout au long de sa vie il entretient avec la nature une relation intime qui inspire son œuvre.
Figuration ou abstraction ?
Les œuvres de Klee pourrait paraître enfantines est maladroites, si dès le premier regard leur harmonie coloré ne frappait le spectateur. En effet, la grande subtilité des effets chromatiques, mettant en places des atmosphères variées, oniriques et poétiques, démontre que derrière une apparente simplicité se cache une recherche longue et complexe. De plus la richesse graphique des œuvres, nous place dans un monde d’images où abstraction et figuration se côtoie. Si certains de ses signes, dans leur grande épuration, peuvent s’assimiler a des formes abstraites, pour Klee leur origine est dans son observation de la nature.
Il cherche a rendre visible me monde des idées, où abstraction et figuration sont mêlées, ses composition pouvant se lire comme le résultat graphique et colorées d’associations d’idées.1933, persécuté par le régime nazi, son œuvre figure dans l’exposition d’art dégénéré (1937), et comparée a celle d‘un malade mental. Son appartement a été fouillé en son absence, il est renvoyé de l’académie des beaux arts de Düsseldorf. On lui demande de produire la preuve de son sang aryen.Avant 1940, Klee ne sait pas que sa maladie est incurable et mortelle, de plus la période, début de la deuxième guerre mondiale, explique aussi une tonalité dramatique données a ses œuvres a cette époque. Cependant le caractère profondément ironique de Klee, lui permet un regard distancié sur sa situation même dans la plus grande adversité. Et de voir arrivé la mort avec une certaine sérénité.